Entretien avec Ibrahima Thiam, président de « Un Autre Avenir »

12 - Avril - 2018
Ibrahima Thiam, président d'Un Autre Avenir
Ibrahima Thiam, président d'Un Autre Avenir

Ibrahima Thiam, président du mouvement « UN AUTRE AVENIR » a accordé un entretien au journaliste de Dakarmatin. Il a abordé la question brulante de la crise scolaire tout en déclinant ses propositions phares sur l’éducation et la formation.

« Dites-nous Monsieur le Président : Pourquoi l’école sénégalaise est-elle en crise ? »

Q. Etes-vous de ceux qui considèrent que l’école au Sénégal est en crise, pour ne pas dire en faillite ?

I. Thiam – Malheureusement en effet, force est de constater que la situation est alarmante. Plus qu’un long discours quelques chiffres permettent d’illustrer de quoi on parle : Le Sénégal, c’est un peu plus de trois millions d’élèves, près de quinze mille établissements scolaires et un budget annuel de l’ordre de 390 milliards de francs CFA. Par ailleurs l’école est la plus grande entreprise du pays avec quelques 90 000 agents. Premier chiffre inquiétant : plus de la moitié des élèves échoue chaque année à leurs examens et seuls 31% d’entre eux obtiennent le baccalauréat. Comment expliquer un tel échec ? Plusieurs facteurs en sont à l’origine de ce phénomène, le plus important étant que depuis cinq ans le quantum horaire de 900 heures/an (qui est la norme internationale) n’est jamais atteint et que celui-ci est en moyenne de seulement 500 heures, près de la moitié. Comment peut-on espérer dans ces conditions que les élèves atteignent le niveau requis ? Impossible ! Alors bien sûr une question suit immédiatement : Comment expliciter ce déficit horaire ? Au-delà de innombrables fêtes il y a aussi un nombre incalculable de jours de grève de la part des enseignants qui amputent d’autant le temps de scolarité. Il faut donc très vite retrouver la raison et apporter aux enfants et aux adolescents ce qu’ils attendent de l’Etat, le droit au savoir.  Est-il d’ailleurs normal que l’on ne compte pas moins d’une cinquantaine d’organisations syndicales avec pour chacune d’elles des revendications catégorielles particulières qui entravent le bon fonctionnement de l’école. Devant un tel dysfonctionnement, comment s’étonner que les familles, qui ont les moyens financiers nécessaires, préfèrent inscrire leur enfant dans des institutions privées. Et pourtant une grande partie de l’élite qui gouverne le pays a été formée dans les écoles de la nation. Il y’a donc urgence dreconquérir ce territoire oublié de la République qu’est l’Education nationale car seule l’éducation des jeunes peut permettre d’assurer le développement du Sénégal. C’est essentiel, capital, fondamental et ne pas y consacrer les moyens nécessaires est coupable et condamnable.  

Q. Au-delà de ce constat très critique, quel regard global portez-vous sur notre système éducatif ?

I. Thiam – Le problème numéro un, je crois, porte sur la qualité des enseignements et de l’apprentissage. Et avant cela sur un constat dramatique, trop nombreux sont les jeunes sénégalais et sénégalaises qui ne vont pas jusqu’au bout de leurs études, qui abandonnent en cours de route. C’est grave car ils se privent ainsi de toutes perspectives professionnelles et donc d’avenir. Cela pose question car si pour une partie d’entre eux, il en va de leur volonté ou de leur situation personnelle, il y a aussi une part de responsabilité de l’Etat qui ne pérennise pas certains programmes éducatifs, par faute de moyens financiers. Autrement dit de nombreux jeunes s’engagent dans des voies sans issue et il faut impérativement remédier à cette situation et leur garantir l’existence d’un cycle complet de formation.

Q. On est également en droit de se demander si le système éducatif actuel correspond bien aux attentes et aux préoccupations des sénégalais. Quelle est votre réponse ?

I. Thiam – La réponse est non ! Et cela est très préoccupant. Tout se joue en effet dès la petite enfance. Il nous faut élaborer une offre éducative qui permette aux enfants de s’éveiller dès leur plus jeune âge, à un moment où leur cerveau à une grande capacité d’imagination, d’écoute et de mémoire. Il nous faut également leur proposer des activités manuelles permettant de leur ouvrir l’esprit et de les sensibiliser à la découverte des métiers.

Q. – Là, on parle d’enseignement général, et c’est bien sûr fondamental, mais pour ce qui concerne la formation quels sont vos projets ?

I. Thiam -  Le Sénégal dispose en effet d’un bon nombre d’établissements scolaires, même s’il reste encore des efforts si l’on veut quadriller le territoire, réaliser un véritable maillage éducatif. En revanche nous manquons cruellement de centres d’apprentissage qui forment directement à la vie active et aident à trouver des débouchés professionnels. Sur ce point il faut une véritable volonté politique et l’élaboration d’un grand plan « Formation 2025 » afin que dans les sept années qui viennent le Sénégal rattrape son retard et offre ainsi des chances sérieuses aux jeunes sénégalais pour s’insérer dans le tissu économique, qu’il soit, industriel, commercial ou artisanal. Cela suppose, qu’une grande concertation soit organisée avec tous les acteurs du monde éducatif et qu’on puisse lister les besoins de formation des entreprises (mécanique générale et de précision, hôtellerie-restauration, pêche, agriculture, métiers du bois, etc.) afin de mettre sur pieds des programmes correspondants qui seront validés en fin de cursus par des certificats professionnels. Et donc valorisants pour leurs titulaires. Les chefs d’entreprise trouveront ainsi les personnels qualifiés qu’ls réclament et les jeunes un emploi dans la vie active.

Q. Il s’agit là d’une politique ambitieuse assurément mais l’Etat dispose-t-il actuellement des outils nécessaires à sa mise en œuvre ?

I. Thiam – Tout le problème est là. Lorsque je dis que la qualité des enseignements et de la formation laisse à désirer cela signifie que la formation même des enseignants doit être améliorée, celle-ci laisse en effet trop à désirer. Pour transmettre leur savoir, pour intéresser et encourager les élèves, encore faut-il que nos instituteurs et professeurs soient reconnus comme de bons pédagogues et sur ce point des améliorations doivent être apportées à leur propre formation. La plupart d’entre eux le souhaite d’ailleurs, le demande. Cela contribuera à une meilleure reconnaissance de leur rôle dans la société et développera leur confiance en eux.  Au-delà d’une plus grande considération les enseignants doivent bénéficier d’une meilleure reconnaissance au niveau de leurs salaires. Par ailleurs on ne peut faire reposer notre système éducatif sur des volontaires et des vacataires, sauf à y recourir temporairement, on ne peut pas davantage accepter des classes qui sont en réalité des abris de fortune. Ainsi que je le disais précédemment on doit aussi remédier aux rentrées tardives et aux jours de congés superflus qui réduisent dangereusement le temps d’enseignement annuel. Ce sont là autant de dysfonctionnement auxquels il faut remédier car ils sèment le doute et l’inquiétude dans la population tout en entravant le développement scolaire des jeunes générations, et donc bloquent leurs projets futurs.

Q. A l’évidence il s’agit là d’un vaste chantier …

I. Thiam – Je vous le confirme et pour notre mouvement UN AUTRE AVENIR il est prioritaire, car au-delà de l’avenir de notre jeunesse c’est tout le développement du Sénégal dans les années et décennies à venir qui se joue maintenant. On a que trop tardé à faire les réformes nécessaires et il est urgent de se retrousser les manches. L’Etat peut beaucoup, mais ne peut pas tout. C’est pourquoi il faut décentraliser au maximum les initiatives éducationnelles, y compris au plan financier, grâce à des pôles de développement et bien entendu veiller à s’assurer d’un suivi-évaluation afin d’apporter, si nécessaire, les correctifs indispensables. Les collectivités locales en ce sens ont un grand rôle à jouer en tant que relais dans la mise en œuvre d’une telle politique. On doit parallèlement à cela rechercher et construire des partenariats avec le secteur privé, que ce soit sur le plan financier mais aussi en matière de recherche et de développement, en particulier dans les nouvelles technologies, Internet, l’informatique, les start-ups, etc. Partout où cela est possible des passerelles doivent être mises en place et ce dès l’enseignement primaire avec l’organisation de « stages découvertes » afin de permettre à des jeunes de découvrir le monde de l’entreprises, ses règles, ses exigences, sa discipline, etc. Tout au long de la vie scolaire et estudiantine tout doit d’ailleurs être fait pour privilégier l’organisation de stages en entreprise qui permettent au collégien et au lycéen d’avoir très tôt un avant-goût pratique de la vie professionnelle afin de les accompagner dans leurs études théoriques. C’est aussi pour eux un apprentissage de la rigueur, autant de valeurs nécessaires à une vie collective harmonieuse.

Q. Une dernière proposition ? Une idée inédite ?

I. Thiam – Il faut se méfier de ceux qui veulent « révolutionner » l’enseignement, c’est là un sujet trop sensible, trop fragile pour vouloir brusquer les choses. Il vaut mieux parler de « réformer » et cela doit se faire dans le long terme pour être réellement efficace, mais cela suppose de s’y attaquer sans attendre, dès maintenant. Au plan des idées, je crois que notre pays y gagnerait si nous étions en mesure de diffuser des programmes scolaires à la télévision, car l’éducation se doit d’être populaire et la télévision est un moyen de toucher le plus grand nombre de sénégalais et de sénégalaises. Il y a la place, à côté de l’information et des divertissements, pour des émissions d’intérêt éducatifs et il nous appartient de le démontrer.

Entretien réalisé par Khaly Marame Ngouille NDIAYE

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